Lisa Ribeaud. « Ce budget de la Sécu inverse les solidarités »

Lisa Ribeaud, nouvelle présidente de Solimut Mutuelle de France, répond à « La Marseillaise » à propos du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, alors que son vote a lieu ce mardi.

La Marseillaise : L’instabilité politique conduit, cette année, à une élaboration du projet de loi de financement de la Sécurité sociale assez chaotique. Est-ce que cela vous inquiète en tant que responsable mutualiste ?

Lisa Ribeaud : Oui, on assiste à des allers-retours incessants entre le gouvernement, l’Assemblée nationale et le Sénat. Des mesures sont annoncées puis retirées. Des parties de textes sont créées puis supprimées puis réintroduites, des compromis de dernière minute sont passés… Encore à l’heure où on se parle. Ce n’est pas à la hauteur des enjeux. On ne parle pas d’ajustement technique, mais de l’accès aux soins, de l’hôpital, des restes à charge… Bref, de la vie quotidienne de millions de personnes. Je suis outrée que le budget de la Sécurité sociale fasse l’objet d’un marchandage permanent.

La Marseillaise : Plusieurs acteurs du mouvement social ont qualifié ce projet de loi de financement de la Sécurité sociale de « musée des horreurs ». Partagez-vous ce constat ?

Lisa Ribeaud : Totalement. S’agissant du texte initial qui a posé le cadre de la discussion, l’analyse que je fais, c’est qu’il inverse les solidarités fondées par la Sécurité sociale il y a 80 ans. On passe d’un système où la maladie était prise en charge collectivement, à un système où – de plus en plus – on demande aux personnes fragiles, aux personnes malades de payer pour générer des recettes qu’on n’est pas capable de trouver par ailleurs. C’est insupportable et c’est d’une grande violence. Il y a plusieurs mesures qui méritent leur entrée au musée des horreurs. Premièrement, le doublement des franchises médicales et des participations forfaitaires. Ce sont ces petites sommes qui restent à la charge des patients lorsqu’ils vont chez le médecin ou à la pharmacie. On sait que ces franchises, qui ne sont pas d’un montant spectaculaires, constituent néanmoins des barrières financières à l’accès aux soins, surtout lorsque les personnes malades doivent s’en acquitter de manière répétitive. Ça va finir par peser très très lourd.

La Marseillaise : Le gouvernement parle de responsabiliser les patients. Vous n’êtes pas d’accord ?

Lisa Ribeaud : Par ailleurs, politiquement, le message est assez détestable : on parle de responsabiliser les patients, mais les patients ne sont pas responsables de leurs maladies. On ne choisit pas d’être malade. Les patients ne sont pas responsables de ce qu’un médecin met sur l’ordonnance. Pour moi, en revanche, c’est le gouvernement et les décisions politiques qui ont été prises ces dernières années qui sont responsables de la situation actuelle de la Sécurité sociale et du manque de financements pour combler son déficit. Plutôt que d’aller chercher de nouvelles recettes, on pointe les personnes malades, je trouve assez insupportable d’inverser les responsabilités de cette manière.

La Marseillaise : On pourrait vous dire que des restes à charge importants, c’est plutôt un argument pour développer des mutuelles.

Lisa Ribeaud : Ce n’est pas du tout notre conception. Nous, aux Mutuelles de France, on se positionne en complémentarité de la Sécurité sociale. Plus elle transfère des charges sur les mutuelles, plus on est obligé d’augmenter les cotisations et notre vocation, c’est que la population puisse être couverte pour une Sécurité sociale de haut niveau et par des mutuelles qui restent accessibles financièrement. Le combat de Solimut et des Mutuelles de France, c’est que la santé soit un droit pour tout le monde. Pour cela, il n’y a rien de mieux que la Sécurité sociale, qui a une base de mutualisation extrêmement forte puisqu’elle couvre l’ensemble de la population. En tant que mutuelle héritière des mutuelles ouvrières, on n’a aucun intérêt à rembourser de plus en plus de dépenses. Ce n’est pas soutenable financièrement pour nos adhérents. La seule chose qui se passe avec ce type de logique, c’est que les personnes ne prennent plus du tout de mutuelle.

La Marseillaise : Au-delà du doublement des franchises médicales, quelles sont les mesures qui vous choquent dans le projet de budget de la Sécurité sociale ?

Lisa Ribeaud : Il y a une mesure qui peut sembler administrative sur le papier, c’est de pousser les personnes qui ont une maladie chronique qu’on appelle « stabilisée » à sortir du dispositif des affections de longue durée. Il faut être extrêmement vigilants à la façon dont cela va se mettre en place. Il y a 14 millions de personnes en affection de longue durée. Une personne qui a un diabète stabilisé, elle reste diabétique. De même, une personne qui a le VIH et dont la charge virale est indétectable, reste porteuse du VIH. Si leur maladie est stabilisée, c’est parce que ces personnes ont pu avoir un accès aux soins, remboursés à 100%. Le risque, c’est que sans cela, elles recourent de moins en moins aux soins et donc que leur maladie chronique soit aggravée. À titre individuel c’est dramatique et à titre collectif, on sait qu’une maladie mal prise en charge ensuite coûtera plus cher et contribuera à désorganiser le système de soins.

Encore une fois, plutôt que d’aller chercher des recettes supplémentaires, on s’en prend à des personnes malades qui sont considérées comme « plus assez malades ». C’est une logique très dangereuse. Ensuite, pour moi, le dernier élément qui mérite son entrée au musée des horreurs, c’est l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam). C’est le chiffre qu’il ne faut pas dépasser. Son augmentation était fixée dans le texte à 1,6%, alors qu’on sait que l’augmentation naturelle des besoins de santé est de 4 à 5% avec le vieillissement de la population, les maladies chroniques et l’innovation médicale. Donc, si on applique ce taux-là, on va demander un effort insoutenable à notre système de santé. On décide de volontairement sous-financer la Sécurité sociale et, ensuite, on se sert de cela pour fermer des lits voire des services à l’hôpital…

La Marseillaise : Après avoir été supprimée en première lecture, les députés ont réintroduit en séance, vendredi 5 décembre, la taxe d’un milliard d’euros sur les cotisations mutualistes. Vous vous y opposez, mais les mutuelles n’ont-elles pas leur part d’effort à faire ?

Lisa Ribeaud : Répétons-le : quand une taxe augmente, elle finit inéluctablement par peser sur le bénéficiaire final. Au-delà de la mesure financière lourde pour les adhérents, ce sont les « arguments » invoqués avec désinvolture qui nous alertent et nous révoltent. Plus d’une heure durant, nous avons entendu, de la part des députés en séance, des propos fallacieux, insensés, insultants, qui remettent en cause l’intégrité du mouvement mutualiste. Mettre en cause l’intégrité des mutuelles, c’est attaquer le système de protection sociale solidaire que nous défendons. Nos entreprises relèvent de l’économie sociale et solidaire, sont à but non lucratif et à gouvernance démocratique. Ce sont les adhérents, élus par leurs pairs, qui ajustent les tarifs au strict nécessaire pour garantir les équilibres, payer les prestations et assurer les services aux populations que nous protégeons. Nous ne pouvons pas laisser s’installer ce discours. Nous ne pouvons laisser sans rien dire les mutuelles se faire insulter avec leurs adhérents, leurs militants, leurs salariés. Nous ne pouvons pas accepter que les mutuelles deviennent les boucs émissaires de décisions prises par les mêmes députés depuis des années, comme les transferts de dépenses vers les complémentaires, ou le définancement organisé de la Sécurité sociale, qui sont les véritables causes du niveau des cotisations mutualistes. Personne n’est dupe sur les jeux politiques en cours. Une partie des députés a sacrifié délibérément le pouvoir d’achat des ménages au profit d’un accord tactique pour faire passer un texte quel qu’en soit le contenu.

La Marseillaise : Votre prédécesseure avait déjà lancé une carte-pétition contre la taxation « habituelle » des mutuelles en expliquant que les hamburgers étaient moins taxés que les cotisations mutualistes. Où en êtes-vous ?

Lisa Ribeaud : Cette campagne produit ses effets auprès d’une partie des députés, nous continuons à dire que ces taxes sont profondément injustes parce qu’elles visent la santé et pénalisent les personnes âgées, fragiles ou qui ne sont pas salariées et qui ne bénéficient pas de l’aide de leur employeur. Nous poursuivons ce combat en mobilisant nos militants mutualistes pour interpeller les pouvoirs publics et aussi expliquer les enjeux dans la population avec un message fort : stop à la casse de la Sécurité sociale et stop à la taxation des mutuelles. Dans le cadre des 80 ans de la Sécurité sociale, nous avons mené plusieurs initiatives à Marseille, en Île-de-France, à Nice… qui ont été des moments de rassemblement populaire pour penser ensemble un autre avenir pour la Sécurité sociale.

La Marseillaise : Comment faire autrement ? Quand on dit qu’il n’y a pas d’argent, vous n’y croyez pas ?

Lisa Ribeaud : De l’argent il y en a ! Il y a beaucoup de déconstruction de discours à faire autour du financement de notre système de Sécurité sociale. Il y a tout un discours gouvernemental qui consiste à dire que la dépense sociale est trop élevée en France et du coup qu’il faudrait la maîtriser pour « sauver notre modèle ». Des économistes qui travaillent à évaluer notre dépense sociale, comme Anne-Laure Delatte, démontrent que quand on compare avec d’autres pays européens, on est dans la moyenne par habitant d’autres grands pays comparables. C’est un premier élément important à rappeler. Deuxième élément fondamental : ce n’est pas la dépense le sujet. L’augmentation des dépenses est inévitable, l’enjeu, c’est comment la financer. Qui contribue ? À quelle hauteur ? Sous quelle forme ? Notre système de Sécurité sociale souffre d’un sous-financement chronique. Pourquoi ? Parce qu’on parle de 80 milliards d’euros d’exonération de cotisations imposées par le gouvernement à destination des entreprises. Le gouvernement fait ce choix politique, mais il demande à la Sécurité sociale de le financer puisqu’il ne compense pas les montants. Il y a aussi toute une part des richesses produites qui ne contribue pas au financement de la Sécurité sociale. Ce serait aussi un levier important pour financer correctement notre modèle de protection sociale.

La Marseillaise : Si on vous suit bien, vous appelez les parlementaires à rejeter le projet de budget de la Sécurité sociale dans son état actuel. N’y a-t-il pas un risque de chaos ?

Lisa Ribeaud : Moi, j’appelle surtout les parlementaires à construire un budget à la hauteur des besoins, qui finance correctement notre Sécurité sociale, qui protège les plus malades et ne les pénalise pas, qui fasse fonctionner la solidarité collective. Je pense que c’est cela qu’on attend d’un débat parlementaire de haut niveau. La Sécurité sociale est trop importante pour être l’objet de marchandages. C’est ce qui permet à notre société de rester unie, c’est un socle de cohésion. Il faut aussi avoir cela à l’esprit quand on est parlementaire et que l’on vote sur l’avenir de la Sécurité sociale.

Entretien réalisé par Léo Purguette (La Marseillaise, le 9 décembre 2025)

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