Anti-franquiste dans les P.-O. Jean Vila.« Ici, contre Franco, c’était profond » (L’Indep)

Dès le milieu des années 1960, Jean Vila a été de toutes les manifestations anti-franquistes dans les Pyrénées-Orientales. Mais il a aussi effectué des dizaines de voyages de l’autre côté de la frontière, de Figuères à Saragosse ou Barcelone, pour convoyer clandestinement, et non sans risques, des dirigeants communistes espagnols attendus à des réunions secrètes en France.

De Jean Vila, on connait les nombreux mandats électifs (maire de Cabestany de 1977 à 2021, conseiller général et régional, député), moins l’engagement auprès des républicains espagnols. Fils de la Retirada, communiste, il est doublement « sensibilisé », comme il dit, à la cause des anti-franquistes puisque le parti est interdit en Espagne à l’arrivée de Franco. C’est donc en France que les dirigeants communistes espagnols se réunissaient grâce à des passeurs. Jean Vila était de ceux-là.

Passeur

« J’ai fait ça pendant dix ans », livre-t-il aujourd’hui. De 1965 à 1975, accompagné de son épouse « car un couple était moins soupçonné », il traversait la frontière au Perthus et ralliait des points de rendez-vous tantôt à Figueres, tantôt à Barcelone et jusqu’à Saragosse. Le militant communiste muni de faux papiers à bord (militant dont il ne connaissait presque rien), retour en France par le même chemin.

Avec des policiers et des douaniers aux aguets. « Le risque, c’est qu’ils étaient pistés par la police espagnole, la Guardia civil, on pouvait tous se faire arrêter en Espagne, raconte-t-il. On avait des consignes si on se faisait arrêter, c’était de dire qu’on avait pris un type en auto-stop et qu’on ne connaissait rien de lui. Je n’ai jamais été arrêté au Perthus, j’ai eu beaucoup de chance ».

L’expédition s’arrêtait généralement en gare de Perpignan ou les militants embarquaient pour Paris. Mais parfois, les réunions se déroulaient au domicile perpignanais des époux Vila. Une adresse près des Remparts déjà connue de la diaspora « La femme qui l’habitait avait déjà des relations avec les Espagnols et elle m’avait dit « moi je suis prête à louer à quelqu’un qui va continuer à s’occuper des Espagnols ». C’est comme ça que j’ai occupé cette maison un certain nombre d’années avant de m’installer à Cabestany ».

Parallèlement étaient organisées des manifestations à Perpignan, que l’historien catalan Alfons Aragoneses qualifie d’« actes de résistance ». « Ces manifestations, où on demandait le départ de Franco ont aide à organiser la résistance à l’intérieur du pays », estimait ce spécialiste du franquisme le 25 mai 2025 dans L’Indépendant. Jean Vila les appelle « des manifs de soutien avec des communistes, des socialistes, tous les gens attachés à la liberté et à la démocratie en Espagne. Ça mobilisait beaucoup ici, il y avait beaucoup de monde dans les rues parce qu’il y avait une population issue de la Retirada qui est devenue militante » Et d’insister : « Ici, contre Franco, c’était profond. Ils avaient fui leur pays et beaucoup étaient morts durant le passage de la frontière et ce qui les a beaucoup aidés, c’était la solidarité en pays catalan. Beaucoup de liens s’étaient créés C’était chouette et d’ailleurs il y a des commémorations chaque année aux points de passage du département. Et pendant tout le règne de Franco, il y a eu une solidarité importante avec également des points de passage à Cerbère ou Saint-Laurent-de-Cerdans pour la propagande aussi, les tracts, passaient par la montagne dans des sacs à dos ».

« Franco assassin »

« Le consulat d’Espagne à Perpignan était envahi régulièrement, se souvient encore l’élu. Et chaque fois qu’un militant se faisait choper, on allait manifester ». Parfois jusque dans les locaux mêmes de la rue Franklin, où simprovisaient des seatings. Une poignée d’élus ou responsables politiques de gauche défilaient en tête dans les rues de Perpignan ou du Perthus. « Je me souviens de Pierre Estève (élu PS des P.-O. disparu en février 2025-NDLR), Jean Catala qui était conseiller général du Vernet, Henri Costa qui était secrétaire fédéral du PC, Roger Samber, communiste aussi ». Avec eux, de nombreux jeunes « gauchistes » brandissent les banderoles « Franco assassin », La dictature tombée, Jean Vila retourne à Madrid en 1977, invité à la première « fiesta del PC espanol ». Son père, réfugié en France depuis 1939, attendra 1985 pour revenir dans son pays, « avec encore de la crainte et de l’appréhension ».

Frédérique Michalak (L’Indépendant, le 23 novembre 2025)

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