Estimant la laïcité menacée, Pierre Ouzoulias, sénateur des Hauts-de-Seine, vice-président PCF du Sénat, appelle à rebâtir un cadre législatif autour de la loi de 1905.
La Marseillaise : La laïcité est-elle menacée aujourd’hui ?
Pierre Ouzoulias : Profondément. Il faut se replonger dans le contexte de 1905. On dit aujourd’hui que c’est une loi qui permet la liberté de conscience, de culte, etc. C’est aussi une loi qui permet de libérer les esprits du dogme religieux qui pèse sur eux. Dans les discours et surtout les articles de Jean Jaurès, il explique qu’on ne peut pas libérer le prolétariat s’il reste complètement enchaîné dans ses traditions. Pour lui, l’émancipation devait concerner toute la sphère sociale, à la fois le domaine économique mais aussi intellectuel avec la religion. On voit bien qu’en ce moment, montent chez les musulmans et les catholiques, partout, des pensées politiques qui utilisent la religion pour faire avancer une forme de néo-conservatisme, ayant pour conséquence le recul des libertés individuelles, des femmes surtout et la promotion d’un ordre social conservateur. Finalement, je trouve que 120 ans après, la situation que nous vivons n’est pas aussi éloignée que ça de celle de 1905.
La Marseillaise : Cette notion est instrumentalisée ?
Pierre Ouzoulias : C’est un principe qui n’est plus compris, utilisé par les uns et les autres, à gauche comme à droite, avec des objectifs qui n’ont pas été ceux de 1905. Cette loi arrive très peu de temps après l’affaire Dreyfus, qui a été le moment paroxysmique où l’armée et l’Église se sont entendues pour faire avancer une vision très nationaliste de la Nation et antisémite. C’est l’époque où on explique que les juifs ne seront jamais de bons Français, qu’ils sont des Français de papier. On retrouve parfois aujourd’hui, dans la façon dont les Français de confession musulmane sont montrés du doigt, quelque chose de similaire. En 1905, c’est au contraire le moment où la République affirme que tous les Français sont des citoyens de plein exercice, indépendamment de leur origine, de leur couleur de peau, de leur confession ou de leur non-confession. La loi de 1905 donne sa pleine puissance au projet républicain d’émancipation du citoyen. Elle est, à ce titre, tout à fait d’actualité car on sent monter des forces réactionnaires avec le développement d’un islam politique très inspiré de ce qui se passe au Proche-Orient, notamment de la pensée religieuse du wahhabisme ou du Qatar, avec des éléments profondément rétrogrades et conservateurs. De la même façon, il y a une forme de catholicisme identitaire comparable à celui de Trump, qu’utilisent tous les moyens de Bolloré et de Stérin, qui est profondément conservateur et anti-républicain. Par rapport à ces deux mouvements la loi de 1905 est menacée, et donc, essentielle.
La Marseillaise : Quel rôle joue l’éducation ?
Pierre Ouzoulias : Il est fondamental. La loi de 1905 arrive après les grandes lois de Jules Ferry sur l’école publique, laïque et obligatoire. Le principe est le même : émanciper les esprits, donner une éducation qui permette à chacun et à chacune de se faire sa libre opinion sur tous les sujets qui le concerne, y compris la religion. La loi de 1905 permet la critique de la religion. Il n’y a pas de blasphème en France et c’est quelque chose de fondamental. On voit bien en relisant Jaurès qu’en 1905, il avait l’ambition de libérer l’Église contre elle-même, ayant conscience que les forces progressistes qui visaient à plus d’égalité sociale entre les individus étaient sous la domination d’un épiscopat extrêmement rétrograde. Aujourd’hui, c’est la même chose. Il y a dans le catholicisme, l’islam et le judaïsme des voies progressistes, modernistes, qui sont critiques par rapport à un certain nombre de pratiques religieuses.
La Marseillaise : Quel est le cadre législatif à rebâtir autour de cette loi ?
Pierre Ouzoulias : La loi de 1905 n’est pas allée jusqu’au bout de ce qu’elle devait réaliser. Un certain nombre de territoires qui étaient à l’époque des colonies n’ont pas eu le droit à son application. Je pense notamment à la Guyane, à Saint-Pierre-et-Miquelon. Le concordat d’Alsace-Moselle est une incongruité, une espèce de fossile qui n’a plus de sens. La première chose, ça serait qu’elle puisse s’appliquer partout, dans les territoires ultramarins et métropolitains. Nous devons trouver une façon pour que le principe de laïcité soit plus affirmé, plus précisé dans la Constitution, donc à un niveau supérieur de celui de la loi.
Entretien réalisé par Laureen Piddiu (La Marseillaise, le 9 décembre 2025)
