L’extrême droite, les riches et le patronat

À la CGT, nous ne sommes pas surpris mais inquiets du rapprochement RN / grand patronat. La CGT, elle a derrière elle 130 ans d’histoire sociale, et elle sait combien le capital manœuvre pour arriver à ses fins, en séduisant l’extrême droite.

Après la crise de 1929, et la montée du front populaire, on a vu les grands patrons, inquiets des revendications des travailleur∙ses telles que la réduction du temps de travail, les salaires ou les congés payés, celles qui sont encore d’actualité, basculer du côté des nationalistes ou de l’extrême droite.

À cette époque, la peste brune apparaissait comme un rempart au danger rouge, la lutte des travailleur∙ses. En regardant dans le rétroviseur, le phénomène revient en force plus particulièrement depuis 2017, encore plus depuis 2022 alors que l’on observe une augmentation de 18 % des syndicats patronaux qui soutiennent le RN. Evolution symbolisée cette année par l’invitation, une première, de Jordan Bardella par le MEDEF à ses universités d’été.

En effet, depuis 2022, on observe une porosité de plus en plus forte entre les milieux d’affaire et l’extrême droite française. Le RN modifie progressivement son programme économique et fait des appels du pied au patronat qui lui, dans sa grande majorité, a cessé de combattre l’extrême droite.

Aussi, la CGT n’est pas surprise mais soyons vigilants pour ne pas revivre l’épisode « plutôt Hitler que le front populaire », que la CGT a combattu avec le monde du travail.

Penser que cela n’existera plus n’est pas la réalité : face aux politiques d’austérité, qui mènent les salariés, privés d’emploi et retraités dans la paupérisation, et en l’absence de grandes conquêtes sociales, le danger est grave. Tout cela laisse un boulevard au capital qui sait où est son intérêt, et qui pourrait permettre à l’extrême droite d’accéder au pouvoir.

On observe une réceptivité de plus en plus importante en direction des idées nationalistes.

Cela nécessite que nous soyons plus que jamais informés pour prendre conscience de ce qu’il se passe dans les grands groupes industriels, les grandes entreprises de ce pays.

Notre bataille pour des médias indépendants et l’audiovisuel public doit être une priorité, alors que le grand patronat organise la diffusion des idées d’extrême droite en tout impunité et sans plus aucun complexe, à l’image de Bolloré ou de Stérin.

Cette note a pour vocation de comprendre et d’affirmer combien le patronat dans son intérêt se sert du RN pour lui offrir le pouvoir sur un plateau doré.

Évolution des votes MEDEF lors des différentes élections :

Parmi les proches d’un syndicat patronal :

  • 11 % des votants affirme avoir voté pour un candidat d’extrême droite au premier tour de l’élection présidentielle de 2017.
  • 13 % des votants affirme avoir voté pour un candidat d’extrême droite aux élections européenne de 2019.
  • 31 % des votants affirme avoir voté pour un candidat d’extrême droite au premier tour de l’élection présidentielle de 2022.
  • Parmi les proches d’un syndicat patronal : 27% des votants affirme avoir voté pour un candidat d’extrême droite au premier tour des élections législatives de 2024.

Patrick Martin, président du Medef, a refusé de donner une consigne de vote avant le second tour des élections législatives. En 2022, le syndicat des patrons avait soutenu Emmanuel Macron.

Analyse :

Il existe une tendance nette à la hausse du vote pour l’extrême droite parmi les proches de syndicats patronaux depuis 2017, avec un pic en 2022 (+18 points), probablement liée au contexte politique post-Covid, aux débats sur l’immigration, la sécurité et la souveraineté économique.

Le soutien est plus élevé lors des présidentielles que lors des européennes ou législatives.

Ces chiffres suggèrent une réceptivité croissante aux idées nationalistes et souverainistes parmi une partie du patronat, même si elle reste minoritaire par rapport à l’ensemble des votants.

Rencontre MEDEF et Extrême droite :

Avant 2019 : prise de position claire du MEDEF contre l’extrême droite

Depuis la mise en place des universités d’été du MEDEF, il y avait jusqu’en 2019 un cordon sanitaire voulu par le patronat qui se refusait d’inviter des candidats de l’extrême droite lors de cet événement.

En septembre 2011, Laurence Parisot, alors présidente du Medef, a publié un livre intitulé « Un piège bleu-Marine », coécrit avec Rose Lapresle. Dans cet ouvrage, elle avertit : « On trouve, sous chacun des mots de Marine Le Pen, tous les démons de l’extrême droite », dénonçant la stratégie de « dédiabolisation » mais pointant la continuité idéologique avec le père, Jean-Marie Le Pen.

C’était une position forte du MEDEF qui était connu pour être relativement réservé quand on parle de politique.

2017 premier contact jusqu’à la rupture du cordon sanitaire MEDEF / RN en 2019

En 2017, lors de la campagne présidentielle, le président du Medef de l’époque, Pierre Gattaz, indique qu’il rencontrera les candidats « majeurs », y compris « sans doute » Marine Le Pen, ce qui marque une ouverture pragmatique du patronat pour entendre l’ensemble du spectre politique pendant la campagne.

En juin 2019, c’est la première fois qu’une personnalité de l’extrême droite était conviée à intervenir lors de cette université d’été en la personne de Marion Maréchal, ancienne députée du FN (devenue RN). Elle était invitée à intervenir à une table ronde lors de la Rencontre des Entrepreneurs de France (REF).

« 250 personnes ont été sollicitées jusqu’ici afin d’obtenir un panel aussi large que représentatif de l’ensemble des sensibilités politiques, de La France Insoumise à Marion Maréchal », avait expliqué le directeur de la communication du Medef, Vincent de Bernardi. « On cherche à avoir des gens qui ont des sensibilités différentes dans les débats pour qu’émergent des controverses, des problématiques, c’est ça la démocratie ».

Réaction :

« Si cette information est exacte, c’est très grave », avait réagi jeudi sur Twitter l’ancienne présidente du MEDEF Laurence Parisot, qui avait publié en 2011 « Un piège bleu Marine », livre dans lequel elle dénonçait la menace qu’incarnait à ses yeux le Front national pour

la France.

Le vice-président de l’Assemblée nationale Hugues Renson s’était de son côté dit « choqué » vendredi par cette invitation, estimant qu’« on ne dialogue pas avec l’extrême droite, on la combat ». « Évidemment c’est une erreur, et je crois qu’on ne compose jamais avec l’extrémisme », a déclaré le député de Paris sur France 2.

Cette invitation a rapidement été retirée par Geoffroy Roux de Bézieux (président du Medef à l’époque), qui a justifié l’annulation par le contexte de polémique générée.

L’extrême droite devant le MEDEF :

  • 2024 : Auditions pour les européennes / « grand oral » : le Medef a organisé des auditions / rencontres avec les têtes de liste des européennes où figuraient des représentants classés à droite et d’extrême droite — Jordan Bardella (RN) et Marion Maréchal y apparaissent dans les comptes rendus. Ces auditions sont des rendez-vous « politiques » organisés par le Medef pour présenter/évaluer les programmes face au patronat.
  • 2025 : Université d’été du MEDEF : première invitation d’un membre du Rassemblement national Jordan Bardella. « Je sais à quel point l’incertitude, l’instabilité du moment est probablement pour vous le pire des boulets qui est attaché aujourd’hui au pied de notre nation et de notre pays », a-t-il déclaré.

Promesses / séduction du RN en direction du patronat

Le RN propose un « pacte de confiance » aux chefs d’entreprise qui irait de la « TPE-PME au dirigeant du CAC 40 en passant par l’artisan ou le commerçant ». Sans préciser la teneur d’un tel pacte. « L’idée c’est de dire que la puissance nationale ne sera pas possible sans des entreprises fortes », résumait à l’époque l’entourage de Jordan Bardella.

Septembre 2024 : le Rassemblement National (RN) a dévoilé un document destiné à séduire le patronat. Ce livret a été présenté lors du séminaire de rentrée des députés RN à l’Assemblée nationale, ce livret met en avant une vision économique libérale, axée sur la compétitivité des entreprises et la réduction de l’intervention de l’État.

Réduction des impôts et des charges :

  • Suppression de la cotisation foncière des entreprises (CFE) et de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) dans certaines zones.
  • Suppression de toutes les cotisations patronales sur les augmentations de salaires jusqu’à 10 %.

Simplification des normes et des réglementations :

  • Remise à plat totale des normes et réglementations, avec une consultation des partenaires sociaux et des entreprises.
  • Suppression de l’ISF, à l’exception de la résidence principale et des œuvres d’art.

Soutien à la compétitivité des entreprises :

  • Baisse de la fiscalité des entreprises, visant à réduire la part des prélèvements obligatoires de 46 % à 40 %.
  • Réduction de l’impôt sur les sociétés, avec un taux de 20 % pour toutes les entreprises.

Politique de préférence nationale :

  • Réserver des emplois aux Français en cas de candidature nationale, avec des exceptions pour les compétences rares.
  • Interdiction d’embauche d’un étranger en cas de candidature d’un Français.

Nos positions CGT vis-à-vis du programme économique de l’extrême droite :

Essentiellement des mesures favorables au patronat, pas aux salariés

  • La défiscalisation des heures supplémentaires, réduit le salaire socialisé et impacte négativement les droits sociaux des travailleurs.
  • La suppression de la cotisation foncière des entreprises (CFE) et de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), qui bénéficient principalement aux employeurs.
  • Des allégements de charges sociales pour les entreprises, sans contrepartie en termes d’emplois ou de conditions de travail.

Ce programme donne la part belle au capital au détriment des travailleurs, une politique économique libérale et inégalitaire :

  • Une baisse de l’impôt sur les sociétés, qui profite davantage aux grandes entreprises qu’aux petites et moyennes entreprises.
  • Une réduction de la fiscalité sur les revenus supérieurs à 3 millions d’euros, mesure favorable aux plus riches.
  • La suppression de l’impôt sur la fortune (ISF) aggravant les inégalités sociales.
  • La suppression de la contribution foncière des entreprises (9 milliards d’euros par an), l’exonération de la contribution sociale de solidarité des sociétés (5 milliards d’euros) et la valorisation des crédits d’impôt recherche et innovation, aides perçues principalement par des multinationales, sans aucune contrepartie.

Le RN ne parle jamais des aides massives aux entreprises qui sont pourtant chiffrées à 211 milliards d’euros par le récent rapport sénatorial qui confirme l’alerte posée par la CGT depuis plusieurs années notamment grâce à l’étude IRES CGT avec le Clersé de l’Université de Lille « Le capitalisme sous perfusion » (2022).

Imposture sociale, le RN prêtent défendre les travailleurs mais le RN ment :

S’oppose à des mesures telles que l’indexation des salaires sur l’inflation, le blocage des prix des produits de première nécessité et la gratuité des cantines scolaires pour les plus modestes.

A voté contre la revalorisation des petites retraites et contre le recrutement de sapeurs-pompiers, contre l’augmentation du smic…

L’extrême droite instrumentalise et divise les travailleurs

  • Diviser les travailleurs en opposant les Français aux étrangers, les salariés du public à ceux du privé, ou les jeunes aux retraités.
  • Détourner l’attention des véritables responsables des inégalités sociales, à savoir les politiques économiques néolibérales et les grandes entreprises.

Lobbying dans les cercles patronaux français:

Depuis quelques années, une porosité croissante existe avec l’extrême droite, via certains mécènes, clubs privés et initiatives intellectuelles, même si le grand patronat officiel reste majoritairement méfiant.

Pierre-Edouard Stérin, Fondateur de Smartbox, il finance un projet appelé « Périclès » – un plan de 150 millions d’euros sur 10 ans visant à renforcer les idées identitaires et anti-islam, en coordination avec le RN et les LR.

Vincent Bolloré, Bien que moins directement affilié à l’extrême droite, son empire médiatique (Canal+, JDD, Europe 1 favorise des discours réactionnaires.

Gérault Verny, entrepreneur en Auvergne-Rhône-Alpes, est proche de Marion Maréchal. Il finance l’ISSEP et a soutenu Éric Zemmour via le média Livre Noir (devenu aujourd’hui Frontières).

Laurent Meeschaert, mécène, finance également des médias identitaires comme L’Incorrect ou Livre Noir, ainsi que des initiatives de « droite hors les murs ».

Henri Proglio, ancien PDG de Veolia et EDF, s’est affiché publiquement en 2024 avec Marine Le Pen — un geste rare parmi les grands patrons, qui restent majoritairement prudents vis-à-vis du RN. Cela peut être interprété comme une ouverture d’une partie du grand patronat.

Cercle Audace, proche de Marion Maréchal où se croisent entrepreneurs, investisseurs et figures identitaires.

E-Politic, Société de communication fondée en 2014 par un ancien cadre du FN. Elle a géré la présence en ligne de campagnes de Marine Le Pen en 2017 et 2022.

Frédéric Chatillon, Dirigeant de l’agence de communication Riwal, il a été militant du GUD (Groupe Union Défense) et reste proche de Marine Le Pen, pour laquelle il a souvent assuré des services.

Axel Loustau, formé au GUD business, il dirige la société Les Presses de France, prestataire pour le FN. Il a également servi comme trésorier du micro-parti Jeanne, affilié à Marine Le Pen.

Ressources pour aller plus loin :

  • Numéro spécial « Extrême droite, NON ! » de la Vie Ouvrière
  • Collaboration, enquête sur l’extrême droite et les milieux des affaires (Éditions La Découverte 2023) par Laurent Mauduit, cofondateur de Mediapart et journaliste économique. Laurent Mauduit, dans son ouvrage d’investigation analyse les liens et met en évidence une certaine logique de rapprochement entre certaines élites économiques françaises et les mouvances d’extrême droite.
  • Le rapport Ces entreprises qui menacent la démocratie 2025 de la CSI présente une sélection annuelle d’entreprises emblématiques qui violent les droits syndicaux et les droits humains, concentrent le pouvoir de l’industrie, se soustraient à l’impôt et à la responsabilité sociale, passent outre la volonté populaire et les politiques publiques en recourant à un lobbying intensif, exacerbent la catastrophe climatique et, surtout, investissent activement une partie des profits qu’elles doivent au travail de leurs employés dans les forces politiques d’extrême droite.
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