Note d’analyse
Source : Rapport n° 1702, Commission d’enquête sur les freins à la réindustrialisation (Rapporteur : Jean-Philippe Tanguy, RN), Assemblée nationale, 10 juillet 2025.
Un rapport aligné sur la politique de l’offre et les revendications patronales
La commission d’enquête parlementaire, officiellement chargée d’identifier les « freins à la réindustrialisation », a mené ses travaux sous la houlette de Jean-Philippe Tanguy (Rassemblement National).Dès l’analyse des auditions, un déséquilibre manifeste apparaît :
- Très forte présence des représentants patronaux (MEDEF, CPME, fédérations industrielles, dirigeants de grands groupes, cabinets de conseil) qui ont occupé la majorité du temps d’audition.
- Faible présence des syndicats de salariés, souvent relégués à quelques interventions formelles et sans réelle prise en compte dans les conclusions.
- Absence d’acteurs critiques de la politique de l’offre, de chercheurs hétérodoxes ou d’associations de défense de l’environnement.
Le résultat est un texte qui illustre une forte proximité d’analyse et de propositions entre l’extrême droite économique et les grandes organisations patronales. Cette convergence peut s’expliquer aussi par la composition de la commission, présidée par un député de droite et dont les travaux ont été largement portés par des membres du RN.
1. Défense explicite des baisses massives d’impôts et de cotisations
Le rapport reprend sans nuance les arguments du patronat sur le « coût du travail » et la fiscalité des entreprises, en présentant les allègements massifs opérés depuis 2017 comme un levier central et indiscutable de compétitivité.
« La baisse massive et sans précédent des impôts […] a permis une amélioration de la compétitivité et doit être poursuivie. » (p. 24) « La chute record de 8 points du taux d’imposition sur les sociétés a permis la création de dizaines de milliers d’emplois. » (p. 25)
Deux préconisations vont dans ce sens :
- « Poursuivre le réalignement compétitif en matière de fiscalité de production afin d’atteindre la moyenne européenne dans les trois prochaines années, tout en ciblant prioritairement les entreprises industrielles stratégiques et exportatrices. » (p. 405)
- « Mettre en œuvre un programme pluriannuel de réduction des cotisations patronales sur les salaires situés au-dessus de 2,5 SMIC, financé par la lutte contre la fraude sociale et le recentrage des dépenses publiques. » (p. 405-406)
De plus, aucune analyse n’est proposée sur le coût budgétaire de ces mesures (plus de 80 milliards €/an pour les allègements de cotisations sociales) ni sur leur efficacité réelle en termes d’emplois pérennes, de réindustrialisation ou de salaires.
On retrouve ici la ligne du MEDEF : faire de la baisse des prélèvements obligatoires un objectif en soi, sans conditionnalité ni contrepartie, au détriment des recettes publiques qui financent les services collectifs et la protection sociale.
2. Exclusion assumée des syndicats et du contrôle démocratique
Le rapporteur écarte toute participation des syndicats ou des représentants du personnel au suivi des aides publiques, préférant un contrôle administratif et financier « neutre » exercé par des commissaires aux comptes, inspections générales ou cabinets spécialisés.
- « Le comité social et économique (CSE)… n’a pas vocation à se prononcer sur les décisions d’investissement ou d’attribution d’aides. » (p. 247) « Les syndicats ne sont pas les garants d’un bon usage de l’argent public. » (p. 249)
- Le rapport nie le rôle des élus du personnel dans la défense de l’emploi et dans la vigilance sur l’usage des financements publics.
- Le pouvoir de décision dans des instances fermées, sans lien avec les salariés et les organisations élues qui les représente, facilite les arbitrages favorables aux directions d’entreprise.
3. Un projet de retraite par capitalisation au service des marchés
Le rapport ne se contente pas de proposer la mobilisation d’une épargne industrielle classique, comme pourrait le faire un livret thématique. En mentionnant explicitement les plans d’épargne retraite (PER) et en affirmant que l’objectif est de « contribuer à la capitalisation des retraites », il franchit une étape décisive.
La formulation reste enveloppée d’un langage technocratique qui atténue sa portée auprès du grand public, mais le sens est clair : c’est l’ouverture d’un second pilier de retraite dépendant des marchés financiers, sous couvert de soutien à l’industrie.
- « Créer un fonds souverain public, alimenté par les actifs détenus en capital et en actions au titre des plans d’épargne retraite et autres produits d’épargne longue, afin de financer les entreprises industrielles stratégiques et de contribuer à la capitalisation des retraites. » (p. 284)
- « Mettre en place un cadre réglementaire favorisant la création de fonds d’investissement thématiques consacrés à l’industrie, éligibles aux dispositifs d’épargne retraite et d’assurance-vie. » (p. 450-451)
- « Développer l’actionnariat salarié dans les entreprises industrielles stratégiques, en facilitant l’acquisition de titres par les salariés via des dispositifs d’épargne salariale abondés. » (p. 411)
4. Déréglementation et assouplissement des normes environnementales
Le rapport dénonce les contraintes environnementales comme un frein majeur à la compétitivité industrielle :
« Les exigences environnementales excessives pèsent sur notre industrie et doivent être simplifiées. » (p. 335)
Plusieurs préconisations :
- « Renouer avec le pragmatisme normatif pour simplifier la vie des entreprises industrielles, en appliquant systématiquement un moratoire réglementaire : toute nouvelle norme entraînant un coût doit être compensée par la suppression ou la simplification d’une norme existante. » (p. 413)
- « Réduire à neuf mois maximum les délais d’instruction des projets industriels. » (p. 427)
- « Mettre en place une procédure simplifiée et accélérée pour les projets stratégiques ou d’intérêt national majeur. » (p. 427-428)
- « Assouplir les contraintes du Zéro artificialisation nette pour les implantations industrielles stratégiques. » (p. 417)
- « Réduire les obligations de reporting extra-financier (RSE) pour les PME industrielles. » (p. 463)
5. Silence sur la responsabilité des actionnaires
Le rapport ne questionne jamais :
- Les dividendes massifs versés par les grands groupes bénéficiaires d’aides publiques.
- Les stratégies de délocalisation ou de fermeture de sites décidées par les conseils d’administration.
- La financiarisation des entreprises et la pression exercée par les marchés financiers sur la rentabilité à court terme.
L’ennemi n’est pas désigné comme étant le capital ou la finance, mais les « normes », la fiscalité ou encore les syndicats.
Ce rapport pointe clairement la rhétorique classique de l’extrême droite « économique », qui protège les intérêts des grands groupes tout en prétendant défendre « l’industrie nationale » et ses emplois.