Michaël Zemmour : « On peut s’attendre à une augmentation de la pauvreté » (La Marseillaise)

Michaël Zemmour, économiste et enseignant-chercheur à l’Université Lumière Lyon 2, qualifie le budget présenté par Sébastien Lecornu « d’antisocial ». Selon lui, la « suspension » annoncée de la réforme des retraites s’apparente davantage à un décalage dans le temps.

La Marseillaise : Quel effet aura la « suspension » de la réforme des retraites annoncée par le Premier ministre ?

Michaël Zemmour : L’annonce a été détaillée par le Ministre du Travail. En fait, c’est un décalage du calendrier d’application de la réforme de 2023 qui reste fondamentalement la même. On part à la retraite à 64 ans avec 43 annuités de manière accélérée. Pour certaines générations, on va avoir un décalage de trois mois dans l’application du calendrier. Par exemple, les personnes qui devaient partir à 63 ans et 3 mois partiront à 63 ans. Cela concerne les personnes nées entre 1964 et 1968. Pour toutes les autres générations, la loi va conserver l’âge de 64 ans et 43 annuités.

La Marseillaise : Cela peut être considéré comme une « victoire » ?

Michaël Zemmour : Ça, c’est aux partis et aux syndicats d’en juger. Ce n’est pas un gros changement sur la réforme, ça n’en modifie ni les objectifs, ni les principes et ce n’est pas très cher pour le gouvernement. En réalité, c’est plutôt un décalage du calendrier de la même réforme. Une suspension, ça aurait été de dire : à partir de maintenant, on bloque les compteurs à 62 ans et 9 mois. Il faudra faire une nouvelle réforme pour repartir à la hausse ou à la baisse. Là, il n’y aura pas besoin de nouvelle réforme. Si on ne fait rien, on va à 64 ans, comme prévu, mais décalé d’une génération. C’est un bougé, ce n’est pas rien.

La Marseillaise : Quand Sébastien Lecornu parle de « compenser » cette suspension, de quoi est-il question ?

Michaël Zemmour : J’imagine qu’il parle de la question du financement. Pour financer ça, il faudrait moins de 0,3% de cotisations à partager entre employeurs et salariés. C’est vraiment peu à l’échelle du système de retraite. Dans le débat budgétaire qui s’annonce, il y a beaucoup de mesures plus importantes que ça. Le gouvernement prévoit par exemple de baisser la taxe exceptionnelle sur les grandes sociétés qui passera de 1 milliard à 4 milliards d’euros. Cette seule mesure représente un coût plus important que le décalage de la réforme de la retraite. Le budget sera « moins » dur à la fin qu’au début, c’est en tout cas ce qu’a annoncé le Premier ministre…

La Marseillaise : Quelles sont ces autres mesures « plus importantes » auxquelles vous faites allusion ?

Michaël Zemmour : Nous verrons dans quelle direction va le débat budgétaire, qui promet d’être sans doute un peu inédit, puisque le gouvernement s’apprête manifestement à faire bouger son texte dans des proportions importantes. Pour l’instant, dans ce budget il y a des mesures fortement antisociales, comme le gel des prestations familiales et des minima sociaux, qui, à ma connaissance, ne s’est jamais produit. Il y aura sans doute – parce que c’est très polémique – un débat sur la désindexation des retraites. Ainsi que des questions sur la fiscalité. Est-ce que, du côté de la droite, il n’y aura pas une volonté de bloquer une mesure fiscale ? On ne peut pas le dire à ce stade. Une des choses très inquiétantes, c’est le budget de l’État et des services publics, qui restent très très très serrés alors qu’on est au milieu d’une crise des services publics en général et de l’école en particulier. C’est un enjeu de lutte contre les inégalités. L’école peut être un outil de réduction des inégalités, mais il y a une fuite de celles et ceux qui ont les moyens vers l’école privée. C’est aussi un enjeu de préparation économique de l’avenir : les moyens qu’on ne met pas aujourd’hui dans l’école risquent de coûter en formation, au niveau de qualification, dans les années qui viennent.

La Marseillaise : Quid du doublement des franchises médicales ?

Michaël Zemmour : C’est une mesure budgétairement très importante qui représente de l’ordre de 2 milliards d’euros et qui va directement augmenter la facture pour les malades puisque c’est une dépense obligatoire. Soit les gens vont reporter leurs soins, ce qui est préoccupant en soi, soit ils vont se dire que c’est une dépense obligatoire et donc ça entamera leur pouvoir d’achat.

La Marseillaise : Le PS prévoit de réintroduire la taxe Zucman, à travers un amendement, lors du débat à venir. Qu’en pensez-vous ?

Michaël Zemmour : Pour l’instant, il n’y a pas dans ce budget de grosses mesures fiscales sur la taxation des hauts patrimoines. Je pense qu’il serait intéressant d’en avoir une, pas forcément avec un taux très élevé au départ, mais dont l’assiette prenne en compte l’ensemble du patrimoine. Aujourd’hui, le fisc connaît les revenus des ménages, le patrimoine immobilier, mais il ne connaît pas le patrimoine financier, y compris la détention d’actions de grandes sociétés. Donc il serait intéressant d’avoir une assiette qui permette de taxer ces patrimoines, peut-être progressivement, mais de manière plus importante dans le temps.

La Marseillaise : Quelles seront à terme les conséquences de ce budget qui ressemble peu ou prou à celui présenté par François Bayrou ?

Michaël Zemmour : Dans les grandes lignes, ça a l’air d’être le même, même si je n’ai jamais vu le budget de François Bayrou. Il y a aussi des modifications à la marge. Il y a des effets antisociaux assez nets. On voit le nombre de mesures inégalitaires. Il est prévu une austérité du côté des services publics. C’est un budget d’austérité, qui va à la fois avoir un effet de ralentissement de l’activité économique et avec des conséquences sociales assez directes. Par exemple, on peut s’attendre, dès qu’on aura l’échelle de la pauvreté, à une augmentation du taux de pauvreté en 2026. Quand vous ne revalorisez pas les minima sociaux et ni les prestations familiales, assez mécaniquement, vous avez une augmentation du taux de pauvreté.

Entretien réalisé par Laureen Piddiu (La Marseillaise, le 16 octobre 2025)

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